MADAGASCAR (archéologie)

MADAGASCAR (archéologie)
MADAGASCAR (archéologie)

Si l’appartenance de Madagascar à l’Afrique est évidente du point de vue géographique, la nature et l’ancienneté des vestiges archéologiques découverts dans l’île et sur le continent diffèrent. Ni les squelettes d’hommes fossiles, ni les outils en pierre taillée de ce que l’on considère comme le «berceau de l’humanité» ne se retrouvent sur la terre malgache. L’archéologie, à Madagascar, a été conçue de telle sorte qu’elle puisse s’adapter à des périodes récentes; elle doit tenir compte des données des autres sources, en particulier celles des traditions orales, quand elles existent. Elle présente un intérêt majeur pour l’histoire d’un pays où les documents écrits se font rares avant le XIXe siècle. Elle possède un domaine privilégié, celui de la vie quotidienne des sociétés du passé. Les vestiges de structures, les restes de nourriture et les débris d’objets, généralement modestes, permettent de faire connaître l’habitat, les activités de subsistance, les techniques, ainsi que les échanges et les migrations.

L’étude systématique et approfondie des preuves concrètes apportées par la fouille et l’analyse en laboratoire contribue à faire avancer les recherches sur les origines des Malgaches. Il s’agit de vérifier les hypothèses multiples et séculaires sur ce sujet. Aussi, on peut envisager que le verdict de cette entreprise de longue haleine démontrera la spécificité d’un peuple et d’une civilisation qui se détachent et de l’Afrique et de l’Asie, ou qui seraient un produit typiquement malgache, résultant de deux provenances lointaines. Les apports de l’archéologie ont remis en cause plusieurs acquis de l’historiographie: entre autres, la question de la datation et le degré d’évolution des premiers habitants de l’île. Ils ont en revanche confirmé bon nombre de connaissances et expliqué le sens de certains dictons ou expressions.

1. L’ancien habitat malgache

Les types de villages

Les installations humaines à Madagascar varient suivant les régions et les époques. On distingue un habitat simple et un habitat fortifié. La situation politique a joué un rôle déterminant dans le choix des lieux d’implantation, qui s’est opéré en fonction du relief et des points d’eau. La répartition et la datation des sites laissent apparaître un décalage net entre le peuplement de la périphérie (zones côtières et basses), qui commence entre le Ve et le Xe siècle, et l’occupation tardive des hautes terres centrales, vers le XIVe ou le XVe siècle.

Les campements de pêcheurs marins de Sarodrano (Ve s.) et de Talaky (XIe s.), situés sur des plages de sable ou dans des dunes mobiles du sud-est et du sud-ouest, ont laissé peu de structures. Les «échelles du commerce» musulman, qui fonctionnaient du XIVe au XVIIIe siècle, longent les côtes du nord de l’île. Elles sont signalées par des architectures ruinées en pierre, de style arabe, à Antsoheribory, à Mahilaka et à Vohémar. Les sites d’habitat simple se rencontrent fréquemment à l’intérieur, le long des rivières du sud par exemple: c’est le cas d’Andranosoa (XIe s.) au bord de la Manambovo, dans l’Androy. Dans les zones sans cours d’eau, comme en pays mahafale , ils se localisent près des sihanaka ou mares. Toutefois, le repérage des lieux d’occupation humaine s’avère une tâche particulièrement ardue, faute de limites visibles. Les manda ou enceintes de pierres sèches, datant du XVe au XVIIIe siècle, se retrouvent aussi bien en Imerina que dans l’Ibara du Sud.

Les villages à fossés qui occupent la plupart des sommets des hautes terres (Imerina, Betsileo, pays sihanaka et bezanozano ) existent en petit nombre dans l’Anosy, à l’extrême sud-est. Ils ont été, en grande partie, repérés sur les photographies aériennes et décrits par A. Mille. Ce dernier a observé une évolution des hadivory , villages entourés de fossés. Les plus anciens sites fortifiés, datant du XIVe au XVIe siècle, sont peu étendus et entourés d’un fossé simple, étroit et peu profond. Les hadivory des XVIIe et XVIIIe siècles, qui correspondent à une période d’insécurité et d’accroissement démographique, connaissent à la fois une extension et un renforcement des défenses. Les petits fossés circulaires traduisent un éclatement des grandes familles et une progression de la sécurité qui résulte de l’unification politique du XIXe siècle. Ce phénomène s’accompagne d’une descente de l’habitat vers les bas-fonds rizicoles. Les grottes habitées ou utilisées comme lieux d’inhumation sont relativement rares à Madagascar. Elles portent les noms locaux de zohy et de lakato . On citera les exemples de l’Isandra et du Manambolo, étudiés respectivement par P. Vérin et C. Chippaux.

Les formes de maisons

Les anciennes habitations malgaches étaient construites presque exclusivement en matériaux végétaux; elles étaient de plan quadrangulaire, et n’avaient qu’une seule pièce. Cette unité apparente cache des variantes régionales, imposées par la différence des matériaux disponibles et des climats, d’un point à l’autre de l’île.

Sur le versant oriental, humide toute l’année, on trouve des trano falafa , maisons légères montées sur pilotis. Les hautes terres, où il fait frais pendant une partie de l’année, surtout sur les collines, exigent pour les demeures qui sont exposées au vent des alizés des murs épais en bois massif. De plus, afin d’être préservés de l’humidité en saison des pluies, les murs reposent sur des soubassements de pierre. Ce type de construction a été mis au jour dans les fouilles de Fanongoavana (XIVe s.) et de Lohavohitra (XVIe s.). La terre battue ou ampetany n’a remplacé le bois, en Imerina et dans le Betsileo, qu’au XIXe siècle, par suite de la disparition de la forêt qui couvrait autrefois l’ensemble de l’île. Les quelques lambeaux de forêt qui subsistent dans les zones les plus humides témoignent de ce passé sylvestre. Les maisons de taille réduite de l’Ibara, de l’Androy et du Mahafale, confectionnées avec les espèces de bois plus léger que l’on trouve dans le sud, sont dépourvues de soubassements. Les murs reposent directement sur le sol de cette région semi-aride. L’archéologue parvient donc difficilement à localiser les trous de piliers dans le sable. On peut supposer que les pêcheurs des côtes du sud s’abritaient dans des tentes légères en végétaux, qui n’ont malheureusement pas laissé de traces. En revanche, les édifices religieux et certaines habitations des comptoirs musulmans du nord ont été intégralement construits en pierre à partir du XIVe siècle.

L’organisation de l’espace

Le site de Fanongoavana, qui a fait l’objet d’une fouille exhaustive, a donné un exemple de la répartition des activités, à l’intérieur d’un ancien habitat malgache. Édifié sur une colline, il est entouré d’un petit fossé simple, dont une interruption crée un accès au village. L’entrée porte le nom de vavahady (littéralement «bouche du fossé»). Les maisons rectangulaires, rassemblées au nord-ouest de la plate-forme sommitale, à l’abri du vent soufflant du sud-est, sont alignées, orientées du nord au sud. Cette disposition justifie l’expression trano atsimo sy avaratra (littéralement «maisons du nord au sud») qui désigne deux habitations voisines. Elle évite qu’une maison n’en cache une autre et n’empêche les rayons du soleil d’y pénétrer l’après-midi, car les ouvertures sont toutes tournées vers l’ouest. On parle de miakandrefam-baravarana («ceux qui ont les portes et fenêtres à l’ouest»), lors de la présentation de condoléances, pour évoquer le sort commun des hommes.

La demeure principale, probablement celle du chef, est située au nord, sur une petite élévation. Elle se distingue des autres par une architecture soignée: des dalles de granit, taillées très régulièrement et dont certaines servent d’éléments de soutènement, en composent le soubassement. Ce sont d’ailleurs les seules marques, avec le seuil de la porte et les pierres de foyer (ou toko ), qui restent de l’habitation, les murs et le toit faits de matériaux périssables ayant disparu. De simples alignements de pierres sèches constituent les soubassements des autres maisons en bois. Une pierre ronde qui servait de seuil révèle l’emplacement de la porte au sud-ouest. La superficie des maisons varie entre 20 et 30 mètres carrés. Chacune d’entre elles comporte un foyer aménagé à l’intérieur et délimité par des pierres plates plantées dans le sol, formant une structure carrée. Le foyer, lieu de cuisson des repas, source de lumière et de chauffage, est aussi un lieu de rencontre au moment des repas pour les membres de la famille.

Le respect des règles traditionnelles de construction dépend de la configuration de chaque site. L’organisation de l’espace subit parfois des modifications inévitables. En outre, la prédominance du nord, comme orientation privilégiée, ne peut pas être généralisée; le sud est plus souvent retenu dans certaines régions méridionales.

2. Les activités de subsistance

La riziculture inondée

Ce type de culture serait, d’après la tradition, une innovation introduite tardivement par les princes néo-indonésiens, vers le XVIe ou le XVIIe siècle. Selon les premières observations archéobotaniques, effectuées par W. Wetterstrom, sur les grains agglutinés de riz brûlé issus des fouilles de Fanongoavana, la riziculture inondée se pratiquait dès le XIVe siècle. La présence de graines d’ivraie, ou voantsimparifary (de la famille des graminées Echinochloa ), dans le paddy est l’indice d’une récolte par touffe, consistant à couper ensemble les tiges de riz et les mauvaises herbes qui poussent dans les rizières inondées. Ce mélange ne risque pas de se produire dans le cas de culture sèche où la collecte se fait par tige, ce qui évite le ramassage des plantes sauvages.

Dans les échantillons prélevés à Fanongoavana et à Lohavohitra sont apparues plusieurs variétés, et peut-être même plusieurs espèces de riz. On distingue clairement le riz rond et le riz long. Le premier serait peut-être à l’origine du riz rouge, une espèce très répandue à Madagascar. Cuit avec beaucoup d’eau, il donne un jus velouté et légèrement sucré: c’est le mode de préparation du vary sosoa (du «bon riz»). Le riz long pourrait, en revanche, être assimilé à du riz blanc, dit «riz de luxe», qui ne colle pas et qui convient à la cuisson courante, avec une quantité d’eau modérée. La préparation du ranovola (littéralement «eau dorée»), à partir d’un fond de riz cuit qu’on fait légèrement brûler dans la marmite pour en faire un bouillon, est attestée par des traces sur des fragments de poteries.

Élevage et consommation de viande

Les traditions orales merina font remonter la domestication et la consommation du zébu au règne de Ralambo, au XVIIe siècle. La présence de ce bétail est pourtant attestée dans la plupart des sites archéologiques malgaches, dont une partie est antérieure au Xe siècle. En Imerina, bos indicus est bien représenté à Fanongoavana et à Ambohipanompo, qui datent du XIVe siècle. Certains villages de grande étendue auraient même joué le rôle de centre d’élevage, si l’on en juge par la capacité d’accueil des enclos destinés à cet usage. C’est le cas d’Analamanitra (XVIe s.). L’élevage du zébu était probablement connu à travers l’île dès le début du peuplement. Les moutons et les chèvres sont moins répandus que les bœufs.

Les ossements recueillis dans les fouilles portent d’ordinaire des traces de débitage. Il s’agit généralement de cassures nettes des os canons, par exemple, qui sont le résultat de la fragmentation de l’animal pour la boucherie. On observe aussi des entailles superficielles provenant du découpage de la viande. La faible usure des dents de boviné et de capridé signale la jeunesse des bêtes lors de l’abattage. L’importante quantité des os récoltés dans les dépotoirs permet d’affirmer que les anciens Malgaches étaient de gros consommateurs de viande. On mangeait toutes les parties du corps de l’animal. Suivant une pratique traditionnelle, encore en vigueur aujourd’hui, les os spongieux étaient mâchés pour en tirer la moelle. On peut noter une baisse de la consommation de viande, si l’on compare la nourriture carnée d’autrefois et le régime alimentaire pratiqué aujourd’hui dans les campagnes, régime essentiellement à base de tubercules, d’herbes et de riz.

Les foyers domestiques existent dans tous les anciens villages, témoignant des activités culinaires. Ils sont parfois bien structurés, ils peuvent se présenter aussi sous forme d’épanchements de cendres et de charbon de bois. Après l’examen des os, on est en mesure d’avancer que la cuisson à l’eau, que l’on considérait comme un mode de cuisine soigné, aurait été préférée à la grillade.

La chasse et la pêche

D’après les restes alimentaires conservés, on a constaté que la chasse était marginale, alors qu’une vision simpliste accordait une grande place aux activités de prédation, dans la première période de l’histoire de Madagascar. On pourrait, certes, mettre la rareté des os des petits gibiers sur le compte de la putréfaction dans les sols anthropiques souvent acides. Ils n’ont pourtant laissé aucune trace. La chasse demeure donc une activité secondaire à côté de l’élevage, qui fournissait l’essentiel de la viande consommée. Andranosoa (XIe s.) est le seul site qui renfermait une quantité abondante de menu gibier, notamment des variétés d’insectivores appartenant à la famille des Centétidés, telles que les trandraka (Centetes ecaudatus ), espèce de grande taille, les sokina (Ericulus telfairoi ) et les ambiko (Hemicentetes semispinosus ). On parle souvent, dans les traditions, de la chasse aux potamochères (qui a donné une expression courante haza lambo ) qui font des ravages dans les champs cultivés. Leur viande était consommée, comme le prouvent les découvertes de Rafolo qui a pu isoler des défenses et des canines de potamochère, en procédant à l’étude archéozoologique des ossements animaux d’Analamanitra et d’Erimoho.

Les habitants des sites côtiers se nourrissaient de poissons et de fruits de mer. Ils se livraient à la pêche sur la côte, ou bien ils partaient en boutre ou en pirogue pour la pêche en haute mer, comme le font encore les Vezo (pêcheurs de la côte sud-ouest). C’était, sans aucun doute, l’activité principale des occupants de Sarodrano et de Talaky, villages dans lesquels on a trouvé non seulement des amas d’arêtes de poisson, de coquillages, d’huîtres, de moules, de crustacés, mais aussi des instruments de pêche (harpons et hameçons en fer, pesons de filet). Les populations de l’intérieur de l’île pratiquaient la pêche de gros poissons d’eau douce. C’est le cas des habitants de Vohitrandriana (XVIIe s.) et d’Andranosoa qui trouvaient probablement leurs ressources, respectivement, du lac volcanique de l’Alaotra et de la rivière Manambovo. L’espèce identifiée dans le premier site porte le nom local de besisika ou Megalops cyprinoides .

3. Les techniques traditionnelles

La métallurgie du fer

Il n’y a pas d’industrie lithique à Madagascar, car les premiers migrants ont débarqué dans l’île à une époque où l’on connaissait déjà le travail du fer. Les deux objets en pierre d’«apparence néolithique» qui ont été découverts dans le centre et le sud-ouest du pays, respectivement par Maurice Bloch et Marimari Kellum-Ottino, et qui ont été assimilés à des herminettes polies, n’ont qu’une signification très limitée car ils sont isolés de leurs contextes. Aucun gisement préhistorique n’a été mis au jour jusqu’à présent.

Bien que certaines traditions veulent attribuer une origine récente à la métallurgie du fer, on dispose de plus en plus de preuves archéologiques de l’ancienneté de cette technique dans l’île. On a longtemps admis que le roi Andriamanelo en fut l’inventeur au XVIe siècle; il serait aussi d’ailleurs le fondateur du royaume hova (nom donné aux habitants du Centre). Grâce à son «fer volant» (sagaie en fer), il aurait vaincu les populations vazimba qui ne possédaient que des «sagaies en roseau à pointe d’argile». Des instruments en fer proviennent de la fouille de sites antérieurs au Xe siècle sur les côtes et antérieurs au XVe siècle sur les hautes terres. On a également mis au jour des ateliers de métallurgie. L’abondance d’amas de scories de fer témoigne d’une activité métallurgique intense, pratiquée probablement très tôt dans le sud de l’île. Cependant ces vestiges, aussi nombreux soient-ils, apportent peu de renseignements. Le fer était fabriqué suivant des procédés ingénieux, à partir de minerai à l’état pulvérulent appelé localement vovo-by , et de roches ferrugineuses ou magnétites (vatovy ), que l’on trouve fréquemment sur les hautes terres et dans le sud. La transformation se faisait dans un petit fourneau de terre, alimenté par du charbon de bois.

La métallurgie du fer, comme la riziculture inondée ou l’élevage du zébu, loin d’être une innovation tardive du XVIe ou du XVIIe siècle, est apparue dans l’île en même temps que les premiers habitants, ainsi que le démontrent les preuves archéologiques.

La poterie

La quasi-totalité des sites archéologiques malgaches recèle de la poterie. Certains sites du sud ne renferment que de rarissimes objets en terre cuite, sous forme de tessons. Les calebasses ou vatavo auraient, dans la plupart des cas, remplacé les récipients en céramique. La qualité de l’ancienne poterie malgache varie en fonction de ses usages. Les matières premières utilisées étaient minutieusement sélectionnées. Les potiers se procuraient soit les argiles claires des alluvions, soit les kaolinites résultant de l’altération directe du granit. Ces deux variétés permettent d’obtenir une poterie de meilleure qualité par rapport aux argiles altéritiques ordinaires. Le graphite était aussi largement employé dans les régions centrales où il existe en abondance. Mélangé à l’argile, il améliore la qualité de la pâte-céramique, et donne des poteries plus résistantes et moins poreuses.

Les poteries ont toutes été façonnées à la main. Et, cependant, les pièces de vaisselle sont généralement d’une finesse et d’une régularité remarquables. L’argile a dû subir un traitement préalable de lavage, pour éliminer les grosses inclusions minérales, les grains de quartz par exemple. Toutes les céramiques ont été cuites sans four. On en connaissait pourtant la technique, puisque les métallurgistes l’employaient. Mais la cuisson en plein air, à une température de 600 à 800 0C, devait sembler suffisante pour obtenir des ustensiles de bonne qualité.

Une vaisselle graphitée en forme de coupe, connue sous le nom de loviamanga et répandue sur l’ensemble des hautes terres, a fait l’objet d’une cuisson spéciale: à température modérée (de l’ordre de 500 0C) avec réduction d’air, surtout pendant le refroidissement, cela afin de préserver le graphite (carbone) qui risque de disparaître en brûlant sous l’effet de l’oxygène. On plaçait le loviamanga dans un trou aménagé et adapté à sa taille, puis on entretenait le feu jusqu’à la température voulue, avant de boucher l’ouverture. Les loviamanga (ou assiettes graphitées à pied) étaient conçus pour faciliter la prise des repas selon les coutumes: on mangeait en effet par terre, sur une natte. Cette vaisselle, parfois de grande taille, peut contenir une quantité de nourriture suffisante pour deux ou trois personnes, regroupées autour d’elle. Cela se pratique encore couramment dans les milieux ruraux ou traditionnels malgaches. Le graphite, grâce à ses propriétés antiadhérentes, facilite le nettoyage de la vaisselle.

Parmi les récipients à usage domestique, on trouve aussi différentes formes de cruches pour transporter l’eau (les siny et les sajoa ), de grandes jarres pour conserver l’eau à la maison (les sinibe ), et des marmites (vilanitany ), tantôt à fond plat, tantôt à fond arrondi. D’autres objets en terre cuite étaient destinés à des rites religieux, c’est le cas des brûle-parfum en forme de coupe ou fanemboa . Ces poteries possèdent des qualités qui méritent d’être évoquées, d’autant plus qu’elles sont en voie de disparition, la technique actuelle étant en nette régression. Les cruches malgaches antérieures au XVIIIe siècle présentent une légèreté et une solidité étonnantes. Cela est dû à la minceur des parois, qui ne dépassent guère 3 à 4 millimètres d’épaisseur, d’une part, à l’homogénéité et à la bonne cuisson de la pâte argileuse, d’autre part. Les sinibe , quant à eux, sont volontairement dotés d’une paroi poreuse, permettant à l’eau de s’y infiltrer et de rafraîchir par évaporation le contenu du récipient, principe comparable à celui des gargoulettes. Les vilanitany , enfin, ont fait preuve d’une grande résistance, au cours de leurs usages répétés sur le feu: on y faisait habituellement griller certains aliments comme le riz.

Les céramiques malgaches portent des décors exclusivement géométriques. Les motifs d’impressions triangulaires, réalisés au moyen d’une tige de zozoro (une plante aquatique de la famille des Cypéracées), sont les plus répandus. Les incisions de lignes parallèles qui s’apparentent à des décors obtenus à l’aide d’un peigne se rencontrent assez fréquemment, tandis que les décors en relief sont plutôt rares.

Les fouilles de Fanongoavana ont mis au jour deux ateliers de potiers qui contenaient des restes de matières premières (argile et graphite), des foyers et des ratés de cuisson. Tout portait à croire que la vaisselle et les ustensiles en terre cuite que les habitants du site avaient utilisés puis abandonnés étaient fabriqués sur place. En tout cas, des céramiques étaient certainement produites localement. Or les analyses chimiques qu’on a effectuées sur une soixantaine d’échantillons de poteries récoltés à Fanongoavana ont révélé la variété de provenance des argiles employées. Certains groupes de céramiques, de par leur composition, présentent des caractères étrangers au site et à ses environs, d’où on aurait normalement extrait les matières premières. Cette variation des constituants chimiques suggère l’existence d’une structure d’échanges avec d’autres villages, voire d’autres régions. Ou bien ce seraient les populations venues s’installer sur ce site qui auraient amené ces objets de leur ancien lieu d’implantation. Ce qui permettrait de retracer des itinéraires de migration dans le peuplement des régions centrales de Madagascar.

Malgré des contacts suivis entre les habitants des mêmes régions, et probablement entre ceux de différentes régions, dont témoigne la circulation des techniques (cela est frappant dans la ressemblance des formes de poteries et des motifs de décoration), on constate, sur les hautes terres centrales, un développement, en vase clos, d’une civilisation fortement imprégnée des ressources locales et présentant des caractères originaux. Les habitants de nombreux villages fabriquaient eux-même les outils en fer et les ustensiles en poterie dont ils avaient besoin. Ils possédaient leurs propres ateliers et adaptaient leur savoir-faire aux matières premières existantes. Des études ethnoarchéologiques ont permis, par ailleurs, de dégager une continuité culturelle malgache qui s’étend sur plusieurs siècles, voire sur un millénaire. L’archéologue est bien souvent surpris par les survivances actuelles de pratiques et de techniques anciennes qu’il a rencontrées dans ses fouilles. L’extraction du granit par choc thermique, que l’on continue à utiliser de nos jours, existait déjà il y a six cents ans.

4. Les échanges avec l’extérieur

L’influence arabo-musulmane

L’île de Madagascar n’est pas aussi isolée qu’on l’a pensé. Elle était régulièrement fréquentée, après l’installation des premiers navigateurs qui ont peuplé l’île, ne serait-ce que pour des raisons commerciales. L’influence étrangère s’est surtout fait sentir sur les côtes et, en particulier, dans le nord. L’arrière-pays, surtout le centre, est resté à l’écart de ces contacts.

Des groupes islamisés, tels que les Antalaotse et les Rasikajy, ont installé, à partir du XIVe siècle, des comptoirs de commerce. Ceux-ci ont favorisé l’importation de vaisselle en «céramique islamique», pour reprendre les termes de Pierre Vérin, de récipients en sgraffiato et en faux céladon (imitation musulmane de céramique chinoise). La présence de ces objets suppose des relations avec les pays du golfe Persique. Ces peuples islamisés ont introduit dans l’île une architecture en pierre de style arabe, dont témoignent les mosquées et les habitations en ruines de Mahilaka et Antsoheribory. La fabrication des marmites tripodes taillées dans du chloritoschiste date de la même époque.

Les échanges avec l’Extrême-Orient

Les marchandises chinoises ont eu une plus large diffusion dans l’île. Elles sont présentes dans beaucoup de régions. Il s’agit de vaisselle de luxe: bols, assiettes et plats en céladon, de couleur vert pâle. Des échantillons proviennent du site d’Antsoheribory et de la nécropole de Vohémar. La fouille des tombes rasikajy de Vohémar a aussi fourni des soucoupes, des théières et des pots, ainsi que de la porcelaine chinoise «bleu et blanc» datant du XVe siècle. Le céladon a aussi atteint de nombreux sites de l’Androy, dans l’extrême sud.

Si la Chine parvenait à acheminer ses produits céramiques jusqu’à Madagascar, à l’autre bout de l’océan Indien, l’Asie méridionale, en l’occurrence le sous-continent indien, ne devait pas être à l’écart de ces transactions sur de longues distances. Parmi les objets de parure trouvés dans les tombes de Vohémar, des perles en cornaline rouge proviennent de l’Inde.

Les contacts avec le monde européen

De nombreux objets découverts dans les sites du nord de Madagascar ont été importés d’Europe. Citons, par exemple, une faïence portant des motifs à fleurs, découverte à Vohémar, et différentes céramiques de luxe. Une série de perles en cornaline, en quartz, en verre et en corail a été fabriquée aux Pays-Bas, vers le XVIIe siècle, comme le démontrent les investigations de Suzanne Raharijaona concernant les provenances des perles de Vohémar. Des bijoux en métaux précieux, bracelets en argent et bagues en or, ainsi que des sabres en fer seraient également venus d’Europe.

Si l’on considère les origines, parfois très lointaines (Europe, Extrême-Orient), de certains objets archéologiques, l’isolement de Madagascar dans le passé est un concept qu’il convient de nuancer. La navigation à travers l’océan Indien est très ancienne, si l’on considère la fréquentation des côtes de l’Asie méridionale, du golfe Persique et de l’Afrique de l’Est par des populations du Sud-Est asiatique. Les routes maritimes, partant de l’Extrême-Orient vers le sud-ouest de l’océan Indien, devaient certainement aboutir dans la région de l’Afrique orientale et de Madagascar.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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